Je suis retourné me faire couper les cheveux. La dernière fois, j’avais demandé à Muriel de me laisser ma mèche. Comme autrefois. Enfin comme il y a (vraiment) très longtemps. Hélas cela ne me va plus guère. J’ai vieilli. Il faut que je me fasse une raison. Mme Girard, ma prof d’allemand au collège, m’appelait die trauerweide, le saule pleureur. Et elle m’attachait une barrette, sans doute pour me faire honte. Mais je ne me sentais pas du tout honteux. J'étais très content de ma dégaine. Le seul résultat de sa pédagogie capillaire est que je suis toujours incapable d’aligner deux mots de conversation à la suite dans la langue de Goethe. Sauf que, du Goethe, avec elle, j’en ai appris par cœur et je m’en souviens encore. Sah' ein Knab ein Röslein stehn,/ Röslein auf der Heiden,/ War so jung und morgenschön,/ Lief er schnell, es nah zu sehn,/ Sah's mit vielen Freuden./ Röslein, Röslein, Röslein rot,/ Röslein auf der Heiden. Mon ami Rainer à qui je récitais ça m’écoutait en riant aux larmes. Il me disait que je devrais en faire un numéro comique. J’ai pris un café avec Nathacha. Nous nous sommes retrouvés près de chez elle dans le XVème. Alors tu as enfin commencé à écrire ? J’ai une fois de plus égrené ma petite litanie de l’impuissance. Mais je l’ai bien fait rire, elle aussi, en lui racontant mes rêves agités où je perds mes papiers, mon chemin, mon argent, mes titres de transport, où je me trompe de gare, d’aéroport et où personne ne comprend ce que je veux dire. Du pain béni pour un psychanalyste. Tiens, depuis le temps, il faudrait que j’écrive à Mme Lefrère.