Virginie m’avait écrit un petit mot après la mort de mon oncle. Je viens juste de lui répondre. J’ai adressé la lettre à Mexico. Elle est encore en France pendant une semaine ou deux, mais je ne veux pas me tromper entre les dates et les adresses. Le courrier pour le Mexique met un mois pour arriver. Cela permet d’éprouver un peu le temps et la distance. Virginie a bien saisi à quel point cette disparition m’a ébranlé. Mon oncle Georges a été une figure essentielle de mon enfance. Quelqu’un que j’admirais profondément. J’étais attentif à ce qu’il disait, à ses silences. Il m’a appris la confiance et la patience. Quand j’avais huit ou neuf ans, je voulais devenir prêtre, comme lui. Je lui dois cette flamme de Foi, vacillante, fragile, mais qui ne s’est jamais éteinte. Et je lui dois aussi mon amour de la littérature, celui du XVIIIe siècle français (il connaissait intimement l’œuvre de Rousseau), de la botanique, des sciences naturelles. Il est de ceux qui ont éveillé mon âme. Je suis allé à Lille pour ses funérailles le 5 août. J’étais le seul de la famille. Mais qui reste-t-il aujourd’hui ? Ma cousine Josette, fatiguée. D’autres cousins, perdus de vue depuis longtemps et les générations d’après, dispersées, indifférentes, inconnues. La messe, dans la petite chapelle de la Maison Saint-Jean, sa résidence pour prêtres âgés, était présidée par Mgr Gérard Coliche, l’ancien évêque auxiliaire, et concélébrée par trois prêtres. Dans l’assistance, des pensionnaires et des membres du personnel de l’établissement, quelques anciens paroissiens, des sœurs du monastère de la Plaine où il avait été chapelain. Face à l’autel, le cercueil en bois clair. J’ai lu un passage du Livre de Michée. Avec quoi me présenterai-je devant le Seigneur ? Il avait émis le désir d’être incinéré. Ses cendres ont été répandues le lendemain au crématorium d’Herlies sur le carré de pelouse que l’on appelle « jardin du souvenir ». A l’issue de la cérémonie, un des célébrants m’a remis son calice. Celui de chaque consécration, de chaque élévation, pendant soixante-cinq ans de sacerdoce. On m’a permis d’aller dans sa chambre récupérer quelques souvenirs. Il n’y n’avait pas gardé grand-chose. Je suis reparti avec un crucifix, une statuette de Don Quichotte, un presse-papier, un ouvre-lettres, un chapelet cassé qui était, je crois, à ma grand-mère... J’ai ramassé aussi des notes manuscrites à l’écriture un peu tremblée (il recopiait essentiellement des passages de livres), de la correspondance éparse, dont mes propres lettres. J’ai été brûler ces pauvres papiers tout à l’heure dans le fond du jardin.