Jeudi 14 mars 2019. 20H20.
Par Xavier Houssin le mercredi 20 mars 2019, 21:14 - Lien permanent
Lundi dernier, j’ai envoyé une longue lettre à Manuel Carcassonne. En courrier suivi. Mais si j’en crois le site de la Poste, elle n’est toujours pas arrivée. Ca m’embête. J’ai besoin d’une réponse. Quand il m’a reçu en coup de vent la semaine dernière, la première chose qu’il m’avait dite, comme il me serrait la main, avait été Après tout ce temps, pourquoi tant de hâte ? J’en étais resté un peu estomaqué. Je n’avais rien trouvé à lui répondre. Il fallait bien que je lui explique. Pourquoi tant de hâte ? Et bien déjà parce que le livre était fini. Enfin. J’en avais signé le contrat il y a bien sept ans avec Jean-Marc. Je ne lui avais rien caché alors de la difficulté à laquelle j’imaginais devoir me heurter pour l’écrire. Comment moi, enfant illégitime, pouvais-je m’autoriser (être légitime) à raconter la vie d’un père dont je ne savais rien, et qui, sur le peu de temps où je l’avais cotoyé ne m’avais pas dit grand chose. Bien sûr, dans mes précédents textes j’avais reconstruit mon histoire familiale, mon enfance, dont je ne gardais étrangement pas le souvenir. Drôle d’amnésie. Il me restait de de ce passé blanc des photos, quelques anecdotes, des noms de gens, de lieux, une chronologie. Avec tout cela j’avais fait des fictions aux allures de récits. L’idée était de procéder de la même manière à propos de mon père. J’avais aussi des photos, des documents, assez difficiles à relier, mais, bon, qui pouvaient me servir de petites prises pour avancer. Je n’aurais jamais pensé être empêché à ce point. J’ai fait, j’ai défait. Une vraie Pénélope. Ca ne fonctionnait jamais. Jean-Marc est mort en mars 2013. A qui allais-je pouvoir confier mes doutes ? J’ai mis une éternité à m’autoriser à parler à la première personne. Mais dès lors que j’avais trouvé le ton, je pouvais progresser. De la hâte ? J’avais suffisamment été empêché d’écrire pour que je puisse me sentir, une fois le manuscrit terminé, sinon heureux, du moins soulagé. Et avec ce sentiment que ce texte ressemblait vraiment à celui que j’avais projeté d’écrire, toutes ces années auparavant. Et puis aussi, j’avais hâte parce que dans tout ce temps, le temps m’avait été compté. En novembre 2010, le lendemain du jour où j’avais remis le manuscrit de La fausse porte, j’entrais en clinique pour me faire opérer de mon cancer. Trois ans plus tard, dans l’hiver 2013, il récidivait. J’avais dû suivre des séances de radiothérapie. C’est un peu comme un ex-voto que j’avais écrit alors L’herbier des rayons. Il est sorti en 2016 chez Caractères. Ce n’est qu’à ce moment-là que je suis parvenu à me remettre au roman. Tant de temps, oui. J’ai compris que de ce temps, je ne pouvais plus en gaspiller. Et qu’il ne fallait plus traîner en chemin. Voilà ce que j’ai essayé de dire à Manuel Carcassonne sur la hâte. Mais s’il n’a pas reçu ma lettre…