Mardi 20 mars 2018. 21h50.
Par Xavier Houssin le jeudi 5 avril 2018, 21:13 - Lien permanent
Je reviens de loin. Je ne sais pas comment l’exprimer autrement. De ces trois jours dans l’Indre, à Chassignolles, là où est née ma mère, il y a eu cent ans hier. J’ai pris la route samedi dernier de bonne heure pour récupérer en fin de matinée Amélie à la gare de Saint-Pierre-des-Corps. Elle n’avait pas pu se libérer la veille et nous avions calculé que c’était plus simple de se retrouver à Tours. Ca l’était. J’avais confié la chienne à Yann et Brigitte. J’ai fait la première partie du trajet dans un brouillard presque solide, une brume blanche, épaisse, qui engloutissait la route, le paysage. Ce drôle de voile ne s’est levé qu’en approchant de la Loire. Nous n’étions attendus que vers 18h00 à Chassignolles. Et comme il s’était mis à faire étrangement beau (le reste de la France était paraît-il sous la pluie et la neige), nous avons musardé. Un déjeuner à Amboise, une promenade dans le parc du château de Chenonceau. En passant à La Croix-en-Touraine, j’ai fait un détour par la maison de Christian. Je ne me suis pas arrêté. Les gens qui l’habitent aujourd’hui ont mis un haut portail de fer qui interdit toute vue sur la petite façade. Ca vaut mieux sans doute. Il restait deux heures de route. Nous avions rendez-vous à la Grange, le café de Chassignolles (il fait aussi restaurant et chambres d’hôtes), avec une Mme Villatte qui, après mon coup de fil du mois dernier au presbytère de La Châtre, devait me confier les clés de l’église. Elle était venue accompagnée par une « vraie » Chassignollaise, Mme Rivière, née Châtelain (Mme Villatte n’habite en effet le village que depuis son mariage, il y a seulement 60 ans). Je pensais, assez naïvement, qu’elle allait me confier les clés jusqu’au 19, mais elle en avait décidé autrement. Elle nous a ouvert, un rien méfiante, ne nous quittant pas d’une semellle, de peur sans doute que nous ne dérobions quelque chose. L’église, consacrée à saint Etienne date du XIIe ou du XIIIe siècle. Sobrement belle. Dans l’après-midi, il s’y était déroulé l’enterrement d’un très vieil homme dont la famille possédait encore ici une grosse maison bourgeoise (Un genre de château, vous voyez, m’a dit Mme Villatte). L'endroit, du coup, était encore un peu « animé » par l’événement. Il restait quelques livrets de messe. Et une croix de branchages était dressée près du maître-autel. Les bancs de chêne, les statues, les bannières de procession, rien n’avait dû beaucoup changer depuis 1918. Dans le bourg non plus d’ailleurs. Sauf que, malgré la guerre et les jeunes hommes partis, il devait être bien plus animé à l’époque. J’avais fait réaliser une petite couronne de feuillages et de roses chez Anne Fréret, la fleuriste de Saint-Pair. Je l’ai déposée sur l’autel de saint Joseph. La chapelle de gauche dans le transept, est dédiée à la Vierge (C’est celle des filles, m’a expliqué Mme Villatte). Celle de droite à saint Joseph (du coup, c’est celle des garçons). Maman est née le 19 mars. C’était le jour de la naissance d’Angèle, sa mère (qui avait 29 ans ce 19 mars 1918) et aussi le jour de la Saint-Joseph, la fête de son père… Comment dire combien tout le monde était là, avec moi, dans cette église. J’étais très ému, mais les deux pimprenelles, ne nous lâchaient pas d’un pouce. Et je n’ai guère pu me recueillir, si ce n’est dans mon coeur. Le lendemain, nous avons assisté à la messe à La Châtre. J’avais averti le prêtre, l’abbé Vincent Béguin, de notre venue. La prochaine célébration à Chassignolles ne devant avoir lieu qu’en avril, voire en mai, il m’avait proposé d’associer la mémoire de ma mère à celle de ce dimanche. L’après-midi, j’ai rencontré un journaliste de La Nouvelle République, le journal local, à qui j’ai raconté (un peu) cette histoire d’autrefois. Et le 19, au matin du jour anniversaire, Mme Bordet, la bibliothécaire de la Châtre, a eu la gentillesse de m’ouvrir la porte de la minuscule bibliothèque de Chassignolles. Elle est installée dans l’ancien atelier du charron, M. Pagnard, dont le nom est resté dans la mémoire familiale. Trente mètre carrés, pas plus, où vivaient Angèle et ses enfants, Albert, André et Agnès. Dire que Maman y est née. Difficile d’imaginer ce à quoi le lieu pouvait ressembler. Au moment de partir, j’ai aperçu, sur une poutre du plafond, la petite étoile à cinq branches d’un nœud du bois. Tous l'ont vue autrefois. Pendant ce court séjour, le temps est resté bleu-gris. A peine froid. Nous logions dans une ferme à quelques kilomètres du bourg. L’après-midi du dimanche, nous étions allés jusqu’à Neuvy-Saint-Sépulchre voir la basilique. Et nous avions fait le tour, à pied, de l’étang de Rongères. Les heures passaient, dépouillées, envahies d’un calme étrangement doux. J’étais si heureux de tenir la main d’Amélie là-bas. Nous sommes rentrés à Paris d’une traite. Courte nuit. Nous devions tous les deux nous lever de bonne heure.