J’ai attendu le jardinier toute la matinée. J’ai fini par l’appeler. Là il m’a expliqué penaud : Je vous avais dit « peut-être ». Il m’a juré de passer demain. J’ai repensé à Isidore Boullu, le marbrier des Bijoux de la Castafiore qui promet toujours de venir remplacer cette fichue marche de l’escalier de Moulinsart sur laquelle le capitaine Haddock s’est cassé la figure, mais qui ne se déplace jamais. J'ai dû terminer une pierre tombale : c'était urgent... Je râle. Aujourd’hui il fait grand soleil et demain il va tomber des cordes si j’en crois les prévisions météo. J’ai été acheter des bruyères chez Hue pour les jardinières de la fenêtre, coupé les plus envahissantes des branches du Cecil Brunner. Je dois encore, avant l’hiver, attacher, guider, les rosiers grimpants et traiter tous les autres à la bouillie bordelaise. Michel Bernard m’a écrit. Nous avons une correspondance qui se met doucement en place depuis un an maintenant. Il y a quelques semaines, il m’avait envoyé une carte postale dont je reste encore profondément troublé. Elle représentait un paysage d’automne auquel je n’avais pas vraiment prêté attention. En commençant à lire, j’ai repéré la petite légende : Senlis. Vue du Cours Pasteur et, du coup, j’ai regardé à nouveau la photo. Derrière les tilleuls et les marronniers dont déjà beaucoup de feuilles jonchent le sol, on aperçoit le porche et un peu de la façade de la grosse bâtisse XVIIIe où habitait Mme Bouvier et dont les concierges, M. et Mme Descroix me gardaient le soir au retour de l’école. Quelle émotion. Moi qui dit sans cesse que je ne me souviens de rien, je sais bien que mon enfance, toute mon enfance est restée à l’abri derrière les hauts murs, là bas. Il y avait un jardin, un parc, un potager. Mme Bouvier qui m’avait pris en affection me me faisait feuilleter, en guise de livre d’images, les planches de L’Encyclopédie. Il ne se trouve guère de jours où je ne pense pas à tout cela. Je m’étais dit que je contacterais les propriétaires. Je connais leur nom : M. et Mme Hermand. Et il me semble bien qu’il existe un Jean-Philippe Hermand qui avait été, un temps, mon condisciple. Mais je n’ose pas. Je ne crois pas que j’oserais. Notre petite maison se trouvait juste à côté, séparée par le Vieux-chemin-de-pont qui descend vers Villevert. On ne la voit pas ici. Je la devine. Elle est là. Michel Bernard m’explique dans sa lettre d’aujourd’hui qu’il avait acheté la carte il y a cinq ou six ans à Senlis. Elle lui plaisait. Il l’avait conservée. Lui aussi est troublé. Quelle chance, dit-il, qu’elle ait trouvé son destinataire entre tous. J’ai enfin eu des nouvelles de Josyane, un peu contrariée que j’ai pu laisser entendre qu’elle n’avait pas répondu à mes messages. Elle l’avait fait (elle m’en renvoyait même une copie) et je n’avais pourtant rien reçu. En fait, il s’agissait d’une histoire d’adresse courriel incomplète. Fin du malentendu. Merci à elle. Nous déjeunons ensemble début décembre et elle veut bien voir mon Australien. Relu (d’une traite) le petit recueil des poèmes de Katherine Mansfield (Villa Pauline et autres poèmes, traduits par Philippe Blanchon, à La Nerthe). Dehors dans le jardin/ Dehors dans le noir venteux, berçant,/ Sous les arbres et sous les lits de fleurs,/ sur l’herbe et sous la bordure des haies,/ Quelqu’un balaie, balaie,/ Un quelconque vieux jardinier./ Dehors dans le noir venteux, berçant,/ Quelqu’un secrètement remet de l’ordre,/ Quelqu’un se glisse, se glisse.