Mardi 1er septembre 2015. 22h40.
Par Xavier Houssin le lundi 28 septembre 2015, 12:35 - Lien permanent
Et toi ? Comment vas-tu ? Qu’est-ce que j’allais bien pouvoir dire... Je déjeunais avec Delphine à La robe et le palais. Je lui avais envoyé un mot une semaine avant : Je ne te vois plus. Difficile de dire le contraire. C’était déjà de loin en loin depuis un an ou deux. Et puis, Françoise-Marie avait été nommée à la direction de Elle. Nous nous étions retrouvés dans un restaurant de la rue Campagne-Première à l’automne de l’année dernière. Un peu pour fêter ça, et pour fêter leur mariage aussi. Après, nous étions juste croisés en juin au prix des lectrices de Elle. Chacun sa vie, bien sûr. Mais de s’être ainsi perdu de vue me causait une espèce de chagrin bizarre. Le sentiment que je payais quelque chose. Avais-je été désagréable, maladroit, à un moment, une occasion ? Non. En tout cas, je ne me souvenais vraiment pas. Ce n’est pas la première fois que j’éprouve cette sensation. Je me demande si ce sont les amis qui s’éloignent ou moi qui reste immobile. J’avais trouvé Delphine contente. Au calme. Comment j’allais, moi ? Difficile de parler de cet épuisement lent qui me rend maintenant toute chose difficile, qui m’isole de mes bonheurs. Impossible à dire cette fragilité de chanterelle, ce repli, cette incapacité à faire qui ne cède qu’en façade. Des années que je traîne, que je trébuche, que je peine à me relever. Mon Dieu, s’il n’y avait pas Amélie. J’ai rassemblé un peu d’énergie pour parler des vacances. C’est vrai qu’elles avaient été belles. Douces. J’avais aimé ce voyage en voiture, en étapes, jusqu’à Magagnosc. Après Nohant, nous nous étions arrêtés au domaine de la Croix-Gratiot, chez Elisabeth et son mari Yves, dans l’Hérault. Dîner au milieu des vignes. Nous étions repartis chargés de caisses de vin et de melons. Chez Claire et Emmanuel nous avions passé une semaine entre parenthèses. Là-bas, je me laisse porter. Au retour, ça avait la visite de la maison de Fabre à Sérignan, Vichy ensuite, à guetter au soir, dans les jardins, les ombres de ma mère et de mon père qui y avaient été heureux, je crois, en villégiature. Puis la Touraine, à Souvigné chez Maureen et Thibaud. Une dernière halte de quelques heures en Loire-Altlantique, à Ancenis et quelques kilomètres plus loin à Oudon, là où Amelie a passé sa petite enfance avant de partir pour l’Afrique. Nous avions musardé tout au long de cette double traversée. Pauses d’un rien au détour d’un paysage. Une rivière. L’orée d’une forêt. Une vieille bâtisse au bout d’une allée. Un village. Une ville. C’était la France chemin faisant. Je m’émerveille de mon pays. De mon appartenance. Les Allemands ont pour parler de cela un mot qui sonne plus tendre, plus intime, que « patrie ». Ils disent « heimat ». Si je me souviens bien, cela signifie « chez soi ». Je ressens profondément cette idée du foyer, de l’origine. Et je suis aussi de tous ceux qui m’ont précédé. De tous ces morts couchés dans la terre dont j’ai hérité. Ma France. Nous nous sommes quittés tard. Delphine rentrait chez elle. J’ai traîné un peu le long des quais. Remonté jusqu’à la passerelle des Arts. J’ai rejoint Amélie place Paul-Painlevé. Nous sommes allés rejoindre Marie chez Moissonnier. Je l’y avais invitée pour son anniversaire. Quenelles de brochet. Poulet au vin jaune. M. Mayet est à la cuisine. Mme Mayet prend les commandes et sert à table. Le temps est lent. La conversation est feutrée. C’est un peu la province. Je m’y sens bien.