Samedi 31 juillet 2010. 23h50.
Par Xavier Houssin le lundi 2 août 2010, 16:13 - Lien permanent
C’est plus compliqué qu’il n’y paraît de cuire des bulots. On ne peut guère se contenter de les faire bouillir dans l’eau salée. Il faut déjà les choisir tous à peu près de la même taille. Les laver à six ou sept eaux. Les brosser un à un et les mettre à dégorger au gros sel pendant un quart d’heure. Rincer soigneusement à nouveau. Démarrer la cuisson à froid. Dans l’eau salée, moi, j’ajoute largement du poivre en grains, un ou deux petits piments, tout le zeste d’un citron et deux doses de Ricard. Je laisse à ébullition fine pendant une heure et demie. En deçà, ils restent caoutchouteux… On doit impérativement les laisser refroidir dans leur jus de cuisson. On les sert avec une mayonnaise très citronnée. Monique et Jean-Marie m’avaient convaincus de participer à leur concours de concours de cuisson de bulots organisé lors du méchoui de l’association Hameaux et quartiers de Carolles. Il y avait cinq ou six candidats. Hélas, je n’ai pas figuré parmi les trois premiers. Je reste convaincu que j’étais parmi les meilleurs. Bah. Un peu d'humilité... Mon père ne comprenait pas d’ailleurs qu’on puisse seulement imaginer manger de ces gros escargots de mer. Les torions comme il les appelait. Il faut reconnaître qu’il y a mieux. Mais aussi il faisait référence à un temps où la gastronomie était l’ordinaire. Où, dans les familles, on dressait pour le dimanche des buissons de tout petits homards (les demoiselles de Cherbourg…) et où l’on fourrait les omelettes avec des ormeaux revenus à la crème. Quand il ne reste que les bulots! Il existe quand même d’autres recettes. J’avais réussi autrefois une terrine de bulots et pieds de veau, servie avec une gribiche. Je vais m’y remettre quand nous inviterons Monique et Jean-Marie à la maison. Le méchoui se passait sur le terrain des 4x4, à la sortie de Carolles, vers la Lande. Avant que les fanatiques de la grimpette motorisée n’aillent faire du gymkana ici, l’endroit était une décharge, le trou à ordures de la commune. Tout le monde a oublié. La vieille cuisinière à charbon de ma grand-mère y git toujours, probablement, sous le remblai. Avec une foule d’autres détritus hétéroclites. Une vraie mine pour les archéologues du futur. Dans le même ordre d’idée, maintenant que la végétation a repris ses droits, je me demande ce qui se passera le jour où l’on fera un peu de terrassement dans le bas de la côte en descendant vers la plage, au niveau de la maison de l’ancien garde-champêtre. Lorsque le cimetière, autour de l’église, a été définitivement désaffecté dans les années 1930, bon nombre d’ossements dont on ne savait pas trop quoi faire ont été balancés par là. Qui le sait encore ? Nous avons parlé pas mal de Carolles pendant le dîner. Nous étions à table près d’Annie et de Michel. J’étais placé à côté de Jocelyne. Comme souvent, je ne peux pas m’en empêcher, la conversation a glissé sur les nouvelles constructions, le « mobilier urbain » et les aménagements du village. Je continue à pester qu’on ait construit, face à la mairie, une école sans âme, rectangulaire et crépie, alors qu’on avait le choix, exigeant, certes, de réhabiliter et d’agrandir les locaux scolaires déjà existants, qu’on ait laissé s’édifier en plein centre bourg des maisons mastodontes, qu’on goudronne un peu partout et qu’on plante tous les dix mètres de très coûteux et hideux lampadaires rouges. Enfin… Chaque fois que je tiens ce genre de propos, j’ai l’impression d’embarrasser mes interlocuteurs avec un discours rétrograde. Pourtant, en avançant dans la discussion, ils sont d’accord. Tout cela est laid et bête. Seulement, c’est comme ça. Comment faire autrement ? J’ai repensé à ce livre de François Taillandier, Ce monde-là. Dictionnaire personnel de l’époque, paru chez Flammarion en 2008 et qui rassemblait un certain nombre de ses chroniques de L’Humanité. Il écrivait : Personne n’est d’accord, donc, et ça continue. Et c’est bien là le problème. Il m’arrive même de penser que c’est le problème majeur de notre société. Nous vivons de façon croissante dans la société du c’est-comme-ça. Connaissez-vous quelqu’un qui approuve l’évolution commerciale de la SNCF ? Moi non plus, mais c’est comme ça. Connaissez-vous quelqu’un qui se réjouisse d’avoir non pas un mais douze opérateurs de téléphonie, qui vous emberlificotent dans des offres commerciales de plus en plus labyrinthiques ? Moi non plus, mais c’est comme ça. Connaissez-vous quelqu’un qui se réjouisse du démantèlement des services publics ? Moi non plus, mais c’est comme ça. L’Union européenne a été, est toujours, la championne du c’est-comme-ça. Combien de pays se sont du jour au lendemain retrouvés « en infraction », alors qu’ils ne faisaient qu’observer innocemment les coutumes qui leur convenaient. Hier c’était les fromages français, demain ce sera l’heure espagnole. Pauvre Carolles… Je sais, je sais. On n’y peut rien. La banalisation est en marche. C’est comme ça.