Samedi 18 juillet. 20h45
Par Xavier Houssin le lundi 17 août 2009, 00:18 - Lien permanent
Le vent a hurlé toute la nuit. S’étirant en rafales sèches. Tourbillonnant dans le cul-de sac des collines. Les volets battaient. On entendait les arbres plier jusqu’au craquement. Pas de vrais dégats cependant. En allant chercher le pain, nous avons relevé quelques branches brisées dans le chemin. Rien d’autre. C’était comme s’il ne s’était rien passé… J'ai noté cette phrase d'Anna de Noailles, écrite dans son Journal quand elle avait dix-huit ans : Non, je ne jugerai point, j'ai senti dans mon être trop d'existences se mouvoir, j'ai senti en moi s'agiter des vies trop nombreuses, des créatures toute différentes agir ou penser, triompher, succomber ou souffrir. Tout est là. Et je me sens envahir par cette proximité, certainement trompeuse, que les mots me renvoient. Je sais, au fond, d'où me vient tout cela. Avant de lire, à l'adolescence, Le coeur innombrable, Noailles est resté longtemps pour moi le nom d'un village du pays de Thelle, dans l'Oise, où habitait une demoiselle, collègue de ma mère à l'institution Anne-Marie Javouhey. Mlle Frécot était professeur de lettres ou d’histoire, je ne sais plus. Ses cheveux étaient teints en roux. Eté comme hiver, elle était sanglée dans le même tailleur de gros tweed. Elle me paraissait vieille. Elle devait avoir une cinquantaine d’années. Je l’aimais bien. Elle habitait une grande maison XIXe dont l’arrière s’ouvrait sur un parc touffu. Nous allions la voir, les dimanches, en rentrant du déjeuner à Beauvais chez mon parrain René et ma tante Poulouche. Elle nous attendait à l’heure du thé. Les murs du salon étaient recouverts de boîtes d’insectes. Lépidoptères, coléoptères. Pas un espace de libre. Et les meubles qui faisaient tout le tour de la pièce abritaient aussi d’autres boîtes, dans de longs tiroirs. J’étais fasciné. Tout cela était l’œuvre de son père, le général Frécot, qui avait été pris par la passion de l’entomologie à l’âge de la retraite et qui lui avait légué ses collections. Elle n’avait rien touché depuis sa mort avant-guerre. Avec elle, j’ai commencé mon apprentissage. J’étais attentif et persévérant : j’ai eu ma part d’héritage. Quelques coffrets « museum » à la bordure grenat et au fin liseret vert, des étaloirs, des pinces… Elle me racontait les expéditions de nuit avec les lampes à vapeur de mercure pour capturer les sphinx et les lichenées. On décore le monde des couleurs de son enfance. J’ai fait mon camaïeu avec le noir ciré des élytres et l’ocre duveteux des ailes et des corps trapus. Lorsque bien plus tard, après La mort de la phalène, j’ai lu De la lecture, ce texte de Virginia Woolf paru aux Éditions des femmes, qui s’achève dans un départ étrange à la chasse aux papillons nocturnes, j’ai pleuré, envahi par l’évocation, de nostalgie et de reconnaissance.