Il tombait une petite bruine grise et désespérante à Mouscron. C'était ce ciel si gris qu’un canal s’est pendu, comme chantait Brel. Pourtant j’aime infiniment ce temps qui enveloppe en large froidure. Ce vent de mer, du bout de la mer, sans autres obstacles que les villes qu'il noie en lents tourbillons. J’aime tout cela, tout. Oui, tout... Et d’une province l’autre, d’une langue à l’autre, même. Zonder liefde warme liefde/ Waait de wind de stomme wind/ Zonder liefde warme liefde/ Weent de zee de grijze zee/ Zonder liefde warme liefde/ Lijdt het licht het donk're licht/ En schuurt het zand over mijn land/ Mijn platte land mijn Vlaanderland. Le presque par cœur hésitant qu’on ne comprend pas en entier. Oui, je suis ici en connaissance et en reconnaissance. Nous avons pris le train pour Bruxelles en fin de matinée. Un peu moins d’une heure de trajet. Tournai, Ath, Enghien, Halle. Amélie lisait, j’étais perdu dans la brume du paysage. De la gare du Midi, nous avons pris le taxi jusqu’à la place aux herbes et sommes allés déjeuner à la Taverne du passage, au bout de la Galerie de la Reine. Des croquettes de crevettes, du civet de lièvre, quelques verres de Mousel. Un repas bruxellois tel que je me l’imagine. Nous avons tiré notre valise à roulettes dans le quartier de la Grand-Place. Fait des achats de touristes : chocolat, spéculoos et cartes postales. Des roses aussi pour Jeannine. C’est elle qui nous héberge ces deux jours dans sa maison d’Anderlecht. Dans la maison de Maurice Carême plutôt… Maîtresse du poète au long cours, aux présents différents et au très loin des loins, elle règne aujourd’hui sur l’œuvre, les livres, les lieux et les objets. Carême est mort il y a trente ans, il n’a jamais été aussi vivant pour elle. Elle nous attendait les bras ouverts. Embrassades, champagne, charmant et interminable dîner. Elle loge en ce moment Marina Tickhanova, une jeune universitaire russe qui prépare une thèse à Smolensk sur la poésie de l’enfance en France. Marina occupait la chambre à l’étage, nous avons installé notre couchage dans le lourd canapé pliant du salon au milieu des bustes, des portraits, des souvenirs. Jeannine, à quatre-vingt-trois ans, passait, elle, la nuit sur un lit de camp dans son bureau. Courte nuit d’ailleurs. Elle partait aux aurores pour installer son stand Maurice Carême à la foire du livre de Tournai.