J'ai lu la copie d'une lettre que l'arrière grand-père d'Amélie, Paul Jourdan, avait écrit à sa femme fin décembre 1915, la veille de l'attaque où il devait tomber. L'écriture est nette et serrée. Les mots sont impressionnants de sincérité, de douleur contenue, d'amour, de foi et de dignité. Mais le plus émouvant est sans doute que nous, presque un siècle après, nous connaissons l'issue. Nous, nous savons cet avenir et cette mort qu'il ne faisait, lui, que pressentir. Il repose quelque part dans un cimetière militaire du Haut-Rhin. Cette même année 1915, six mois avant, Georges Lapierre, le frère de mon grand-père Joseph, envoyait à sa mère un courrier dont les mots se ressemblent. J'offre ma vie à Dieu pour Joseph et sa famille. Et aussi pour la France. Il a été tué le 17 juin à Notre-Dame-de Lorette. Son corps gît, anonyme, dans un des ossuaires de cette immense nécropole où nous nous sommes rendus, un peu par hasard, avec Steven et Fiona en janvier dernier, parce que Leo voulait voir les champs de bataille de 14-18. Henri Demarcq, un autre de mes grands-oncles est mort aussi pendant la Grande guerre. Le frère aîné d'Angèle. Il a succombé à ses blessures en novembre 1916. Il est enterré à Morvillars, Territoire-de-Belfort. J'ai un portrait de lui en uniforme. Moustache à crocs et l'air fier devant l'objectif. Il tient un clairon à la main. Amélie m'en a montré un de Paul Jourdan, pris lors d'une permission. Il porte la tenue des chasseurs alpins. Lui aussi bombe le torse. En décor son jardin, avec des oliviers. Sur un second cliché, on le voit avec sa femme et ses deux filles. Je n'ai pas de photo de Georges et il n'a pas de tombe. Si vieux jeunes hommes. Paul Jourdan avait trente-deux ans, Georges Lapierre, vingt-sept, Henri Demarcq, quarante-et-un.